Quand arrêter ne veut pas dire fuir

Quand arrêter ne veut pas dire fuir

On pense souvent qu’arrêter, c’est tout laisser tomber.
Que s’arrêter, c’est se retirer, cesser d’avancer, ne plus travailler.
Comme si la pause était synonyme d’abandon.

Mais arrêter ne veut pas dire fuir.
Arrêter, ce n’est pas tourner le dos à la vie, ni refuser d’agir.
C’est mettre fin à l’agitation qui s’agite dehors, pour revenir vers ce rendez-vous qu’on oublie trop souvent : celui qu’on a avec soi-même.

On croit souvent qu’arrêter, c’est un signe de faiblesse.
On confond le repos avec la fuite, la pause avec l’abandon, le silence avec le vide.
Et pourtant… ce n’est pas arrêter de travailler, ce n’est pas arrêter de bouger, ce n’est même pas arrêter de vivre.
C’est arrêter l’agitation externe.
C’est choisir, au milieu de tout ce qui s’agite autour, de fermer une porte invisible et d’ouvrir une fenêtre en soi.

Car il existe un rendez-vous que nous oublions trop souvent : celui avec nous-mêmes.
Pas celui qu’on inscrit dans l’agenda ou qu’on coche sur une liste, mais ce rendez-vous intime, intérieur, qui ne demande rien d’autre que d’être présent à ce qui se vit.
Un rendez-vous sans témoin. Sans performance.
Juste cette présence nue, que rien n’habille, que rien ne masque.

On passe nos journées à avaler des potions.
Pas celles qu’on prépare dans les grimoires, mais celles qu’on concocte sans même s’en rendre compte :
– les pensées qui tournent en boucle,
– les émotions qu’on ressasse,
– les gestes qu’on répète par habitude.
Chacune de ces potions agit en nous, transforme notre humeur, colore notre perception. Certaines nous nourrissent, d’autres nous intoxiquent.

Mais pour s’en rendre compte, il faut accepter d’arrêter.
D’arrêter le bruit.
D’arrêter le défilé des obligations qui, bien souvent, ne sont qu’un écran de fumée.
D’arrêter de se fuir dans l’action.

S’arrêter, c’est bâtir ce pont fragile, invisible, qui relie ce qui s’agite à l’extérieur et ce qui respire à l’intérieur.
Un pont où tout se suspend, ne serait-ce qu’un instant.
Un pont qui nous permet de sentir la potion que nous sommes en train de boire, avant qu’elle ne nous consume ou qu’elle ne nous élève.

Dans cette suspension, on découvre que le temps ne s’écoule pas comme on le croyait.
Qu’il y a un espace entre deux pensées.
Un silence entre deux respirations.
Un souffle entre deux gestes.
Et c’est dans cet espace que se cache la conscience.

Arrêter, ce n’est pas tourner le dos au monde.
C’est au contraire l’habiter autrement.
C’est regarder le tumulte sans s’y laisser avaler.
C’est voir passer les émotions comme des nuages, sans les laisser empoisonner notre potion intérieure.
C’est écouter ses propres résonances avant d’absorber celles des autres.

On nous a appris à courir, à produire, à enchaîner les rendez-vous.
Mais qui nous a appris à être au rendez-vous de nous-mêmes ?
Qui nous a montré comment arrêter, pas pour fuir, mais pour goûter ?
Goûter ce qui est là.
Goûter la saveur de nos pensées, la densité de nos gestes, la profondeur de notre souffle.

Se donner le droit d’arrêter, c’est se donner le droit de choisir la potion que l’on boit.
C’est refuser les mixtures toutes faites qu’on nous impose.
C’est composer sa propre alchimie, avec ce qui élève, ce qui clarifie, ce qui ouvre.

Alors oui, continue de bouger, de créer, de travailler, de vivre.
Mais accorde-toi cet arrêt volontaire, cette suspension où tout se recentre.
Ne serait-ce qu’un instant par jour.
Ne serait-ce que quelques respirations.

Car ce n’est pas dans le mouvement incessant qu’on trouve la clarté.
C’est dans l’arrêt conscient, ce pont suspendu au-dessus du tumulte, où l’on observe sans juger et où l’on choisit en pleine conscience la potion que l’on absorbe.

Et peut-être qu’en apprenant à s’arrêter, on apprend aussi à mieux repartir.
À marcher non plus dans l’agitation, mais dans la justesse.
Non plus dans l’oubli de soi, mais dans la présence.

boutiqueshaman.com

Laisser un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d'être publiés


<